mercredi 20 juin 2012

Episode 18 : où une vessie fait lanterner

LePaf se tortille et fait se balancer l’enfant sur ses genoux.
Dans sa tête s’échafaudent les phrases et les intonations qui lui permettront de formuler sa demande sans risquer ni le refus, ni l’acceptation courroucée ni le ridicule.

Les relations ont beau s’être détendues, la hiérarchie n’est pas tout à fait absente.
Un impair peut avoir des conséquences un peu comme dans ces dîners collet monté où peuvent se jouer une promotion ou une intégration réussie. Le genre de contexte qui pousse à l’hésitation.
Mais il n’y a pas ici de temps pour la réflexion.

C’est sa faute aussi.
Il a pensé à y envoyer ses enfants en oubliant son tour.
Alors, bien sûr, il est désolé.
Surtout que nous venons juste de partir, c’est vraiment stupide mais il est impossible de se retenir plus longtemps.
Surtout avec MonAiné qui pèse sur la vessie
C’est qu’il pèse son poids.
Il va sur ses neuf ans et demi aussi.
Je comprendrais très bien que vous m’en vouliez, vous m’en voulez déjà sûrement.

Trois soupirs longuement expirés accompagnent un ralentissement et le virage conduisant à un restaurant routier à large parking et devanture.

A quelques décilitres d’essence de leur planque pavillonnaire, il se trouve que le routier est un endroit où les Sergio & co ont leurs habitudes.
Leurs rituels même.

Leur tendance à l’immuable répétition des gestes remarquée par l’employé du fast-food ne s’observe pas que dans les restaurants de hamburgers mais dans l’ensemble des commerces de bouches ainsi que, plus généralement, dans toutes sortes de lieux, publics ou non.
Des chorégraphies qui se mettent en place spontanément dans les vieux quatuors.

(Oui quatuor car la forme quintet avec le chef est moins souvent réunie, les responsabilités d’André l’amenant à fréquemment parcourir le monde. C’est, en quelque manière, leur ChèreÉpouse à eux.)

Ce sens spectaculaire et quasi gracieux de la routine se fait remarquer.
Alors qu’ils se pensent d’une discrétion professionnelle et sans faille, Erwann et autres ne sont pas loin d’être devenus de petites attractions dans toute une série de lieux entre la capitale et la fin de la terre.

Dans ce routier par exemple, donc.


Dès après avoir aperçu le vert bouteille du break de chasse avancer sur le gravier du parking, Jean-Mi, habitué des lieux au point d’y avoir son rond de serviette et sa marque de coude sur le zinc, flaira la combine.

Jean-Chri son voisin de coude en pleine dégustation d’œuf dur, exerce l’honorable profession qui donne sa raison d’être à l’endroit.
Client très occasionnel, car spécialisé dans le transport paneuropéen, il fera un très beau gogo de circonstance.

-    «  Jean-Chri, mon Jean-Chri.
Qu’est ce que tu dirais d’un petit pari ?


-    Ah,  ben…  – postillons de jaune d’œuf qui viennent se planter en pollen au bout des poils de bras de Jean-Mi – Pourquoi-pas.

-    Alors voilà, j’essaie de deviner à quoi vont ressembler les quatre prochaines personnes et à chaque fois que j’ai bon, tu payes un coup. Et puis, si je me plante, c’est moi qui rince. Simple.

-    Tope ! – verre de blanc jeté droit dans le fond du gosier. La sieste prévue devant faire disparaitre cet impair à la législation – Alors ?


-    Alors je te parie que le premier à rentrer sera un gars comme une armoire, presque chauve avec un  blouson de cuir.


Mais c’est LePaf qui fait tinter la sonnette signalant les nouveaux arrivants.
Suivi de près, collé même par Sergio jusqu’aux toilettes, il offre l’occasion à Jean-Mi perturbé mais pas démonté de se relancer.

Argumentant qu’il n’avait pas vraiment tort en ce que la proximité des deux ne permettait pas bien de dire qui a passé la porte avant qui.

Le Muscadet Sèvre et Maine aidant, Jean-Chri tope pour un quitte ou double.

-    « Le prochain sera un type plus bombonne qu’armoire mais costaud quand-même. Avec des long tous cra-cra sur la nuque et plus rien sur le dessus de la tête. »

Caramba ! Encore raté.
Sans pinaillage possible car c’est le mince Erwan qui accompagne cette fois MaPrincesse angoissée de ne pas voir vite revenir son père au point d’avoir brisé les oreilles et malmené les nerfs de tous les occupants de la voiture, enfants mâles compris.

Plus d’autres passages, Jean-Mi n’aura pas l’occasion de se refaire et cette entorse aux usages aura fait un heureux en la personne de Jean-Chri à ceci près qu’il est contraint à de complexes calculs pour évaluer le temps de sieste supplémentaire dont il aura besoin pour prendre la route.
Mais elle aura aussi été l’occasion de miner le moral de cinq autres.

Cinq.
En plus d’un Jean-Mi surpris par ce bouleversement des lois de l’univers et râleur à la pensée de sa défaite, il y en a quatre qui se demandent si toute cette nouveauté ne tente pas trop le sort.

Pour les rassurer, on pourrait leur dire qu’au Ghana, André n’a fourni aux policiers aucun détail susceptible de les mettre en danger.
Le manque d’information ne fait pas l’affaire de Delage pagayant dans les questions.

Que tirer du peu d’informations dont il dispose ?
Qu’est ce qui aurait pu lui échapper ?
Que dire à ChèreÉpouse alors que la disparition de sa famille semble être un peu plus qu’une hypothèse ?

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