mercredi 16 mai 2012

Episode 14 : où vient enfin le temps des présentations

MonAîné se demande si le vieux monsieur rouge et blanc qui s’appelle Yvon Jezequiel comme c’est écrit sur la première et la dernière page de son livre sur la musique, ce qui est normal parce que papa aussi il écrit sur la musique, enfin pas seulement mais souvent, et que c’est pour son travail qu’il a emmené tout le monde, tout le monde c'est-à-dire moi, mon frère et ma sœur mais pas maman que son travail a fait se déplacer aussi mais ailleurs et loin.
Bref, je me demande si Yvon est plus fou quand il écrit ou quand il parle.

Il ya des moments dans son livre des moments où on apprend plein de choses intéressantes et puis d’autres où on ne comprend rien mais ça ressemble un peu à ces messieurs qui, dans la rue ou le métro ou le bus mais plus dans la rue ou le métro, ces messieurs, donc, qui parlent tout seuls avec des cris soudains et sans raison, enfin sans raison évidente, plusieurs fois au hasard de leur monologue.

De fait, nos quatre soldats de l’armée de libération contre l’oppresseur français voire fasciste, n’ont jamais trouvé le frère du chef bien fiable eux non plus.

Mais peut-être serait-il temps de prénommer ces messieurs depuis maintenant sept épisodes et deux interludes qu’ils furent décrits par le menu dans un restaurant de hamburgers.

Reprenons donc l’ordre des premières présentations :

-    "Le robuste dégarni d’abord. Toujours vêtu d’un cuir brun et élimé on l’imaginerait bien porter dessous le genre de débardeur taché de sang par une heure trente d’héroïques castagnes et catastrophes cinégéniques. Une rude virilité soulignée par un port de lunettes fumées sur des montures en métal doré couvrant un bon tiers de son visage", a pour petit nom Sergio ce qui est loin d’être en soi un brevet de bretonnitude. D’où peut-être un rien d’excès dans son combat. Vous me direz, il a choisi la frange – celle de la lutte armée – propre à assouvir son penchant pour la radicalité. Mais à l’intérieur même des extrémistes, il effraie par ses propositions. Dans le débat qui a précédé la descente à la cave dont il a déjà été question lors des deux derniers épisodes – ce récit en est à une phase stagnante traversée de retours sur soi – Sergio, pessimiste quand à la possibilité d’obtenir quelque information que ce soit de la tafiole et ses trois mômes fut partisan d’un massacre exemplaire propre à montrer aux Clients qu’ils n’étaient pas moins méchants qu’eux.

-    "le géant au crâne lui aussi semi-nu mais pourvu sur la nuque d’un long filet d’une chevelure blonde dispersée en tentacules humides de graisse. Adepte du cuir comme son devancier à ceci près que la couleur vire cette fois au pourpre et que la forme plus longue, dite trois quart, laisse des rebords ouverts former comme des parenthèses autour d’un quintal au bas mot" fut baptisé d’un Loïck bien dans le goût de sa région natale et de cœur. Jamais vraiment remis d’une déchirante parenthèse de treize années passée en banlieue parisienne, il éprouve quotidiennement le besoin de résoudre les problèmes de mélancolie causés par ce traumatisme à l’aide de fortes quantités de vin rouge et de nourriture carnée. Prenant peu part au débat, il se range toujours à l’avis de son ami d’enfance : Erwan.

-    Erwan, c’est le "quinquagénaire à lunettes, gris de crin court et qu’on imagine plutôt maigre dans ses amples vêtements à la mode chinoise bretonnisés d’un lourd triskèle en pendentif". Malgré son nom du cru, Erwan est né à Puteaux où il s’est lié d’amitié avec Loïck dès les premières années de leur passage commun à l’école publique, laïque et obligatoire formant ici un duo de silhouettes ayant quelques airs de famille avec de célèbres personnages du cinéma muet. Descendant d’une bonne, partie chercher un peu moins de misère en direction de Montparnasse, Erwan n’a jamais douté de la légitimité de son combat et serait fort surpris qu’on puisse le considérer plus comme un converti que comme un natif. Dans la palabre pré-descente, Loïck passa un temps, selon ses camarades, beaucoup trop important, à peser chacune des options possibles. Avant d’opter pour un dosage de l’ensemble (interrogatoire des prisonniers sans violence excessive et remise aux Clients pour ne pas avoir à se poser la difficile question du sort de la famille Pafienne).

-    "le sombre moustachu. T-shirt à col montant entre le rouge et le jaune suivant les jours et l’éclairage sous une veste en tweed rapiécée aux coudes" s’appelle Serge. Avec "une peau soumise à une pilosité brune, dense, drue et trop vivace pour se tenir longtemps tranquille après le passage du rasoir" on l’aurait volontiers appelé Sergio, plus que son camarade cité trois paragraphe au-dessus. Mais, avec toutes les générations précédentes connues nées dans les Monts d’Arrée, personne ne contestera, malgré des carnations plus typiques des pays méditerranéens, la pureté AOC de ses origines. En tant qu’habituel "distributeur des tours de paroles à coups d’index pointé" il est, en l’absence du chef – André bien sûr – le preneur de décisions. Et c’est pour le compromis proposé par Erwan qu’il opte.


Maintenant que la décision est prise, il est temps de descendre à la cave pour commencer à poser quelques questions aux détenus parisiens.
Ne restera alors que le problème André.
Sans nouvelles du chef, il faut espérer qu’il réussira à rentrer dans les temps pour être au rendez-vous donné au rocher aux singes du parc de Vincennes ce dimanche.
Il est assez à craindre que les clients ne prennent pas extrêmement bien une contrariété supplémentaire.
Même Sergio serait prêt à l’admettre.




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