mercredi 4 juillet 2012

Episode 20 : où sonne l'heure du sprint final

ChèreÉpouse s’accroche pour se pencher vers l’ouverture latérale de l’hélicoptère.
Elle regarde le grand X s’éloigner, la piste de décollage vite avalée par la masse feuillue de la forêt qui l’encerclait.

Un premier voyage en hélicoptère se déguste, chaque sensation mérite d’être archivée et il s’agit de les multiplier.
Tout voir : le paysage qui change, grossit, rapetisse et tangue, comme le ballet des mains gantées sur le tableau de bord aux voyants qui scintillent.
Être attentive à cette boule qui bouge dans son ventre au rythme des déplacements de l’appareil, au bruit des pales que le casque étouffe.

Et cela n’a rien d’inconvenant car l’issue de ce voyage sera heureuse.
L’officier Delage l’a longuement expliqué tout à l’heure, les mains immobiles sur le dossier posé au centre de la table métallique dans ce bureau austère que seules décorent quelques notes administratives.

Entre le moment de leur départ pour la France cette nuit et maintenant les informations se sont accumulées et convergent.
Tout porte à croire qu’une transaction aura lieu au pied du grand rocher aux singes du parc zoologique.
Le policier se souvient avec précision que ce lieu a été évoqué à plusieurs reprises.
Il est à peu près certain aussi que LePaf et les enfants y seront.
Tous ont été repérés en fin de matinée dans un restaurant sur la route de la capitale.
Plusieurs hommes sont prévenus, déjà sur place, nous arriverons par le ciel pour l’interpellation et un parfait happy end.
Il l’a dit.

Tout se passera pour le mieux.
Tout se passera pour le mieux.

Tout se passera pour le mieux se dit LePaf avant de le répéter à sa petite famille aux nerfs éprouvés par les trop longues heures passées dans la voiture maintenant à l’arrêt sous les arbres d’une forêt municipale.
Erwan, Serge et les autres vont nous présenter à deux messieurs et ce soir on dormira tous à la maison.
C’est presque fini. Voyez, voilà Sergio qui revient nous chercher.

Pour toute confirmation, il n’obtient de leurs geôliers que des bouches tirées en ces sourires, trop larges et trop fixes pour y trouver le réconfort qu’il y voyait encore la veille.

Loïck planque à une cinquantaine de mètres de l’entrée du zoo, derrière laquelle s’élève le grand rocher plein de primates pour la plupart avachis sous la chaleur un peu lourde du début d’après-midi. En bon professionnel, il inspecte les lieux avant l’échange.

Les Clients ne l’étant pas moins, sont présents depuis le matin.
Tous deux vêtus de lin coupé à l’italienne.
Tous deux serrés dans cette tenue légère et ocre, laissant une vaste musculature apparente, cheveux châtains en brosse courte l’un et l’autre, durs et menaçants, interchangeables.
Depuis qu’ils arpentent les lieux les alentours se sont peu à peu remplis de familles en shorts, bermudas et jupes courtes, de notes de musiques, de vendeurs de barbapapa, de fanions publicitaires, messages grésillés sortis de mégaphones, de cris d’enfants et d’animaux.

Ils ont repéré depuis longtemps leurs fournisseurs.
Placés derrière Loïck, ils ne l’ont perdu de vue que lorsqu’une fanfare adepte de la musique répétitive leur a bouché la vue.

Jean-François, dit Jeff, dit Goldblum, dit Gold, premier altiste aux dents gâtées du « Cool as ta rem » est aujourd’hui à la tête d’un ensemble baptisé, quelques heures auparavant, la colonne locrio-éolienne.
Accompagné par dix camarades tour à tour souffleurs et chanteurs il a croisé les autres colonnes, perturbé leurs concurrents durant deux Guantamera, trois Cornichons et un Proud Mary et s’apprête maintenant à rejoindre, sans cesser de jouer, le final quand il pile devant ses camarades et crie :
« Le gamin de la gare ! »

Désorientés et en perte partielle d’équilibre ses collègues de colonne reprennent quand même en cuivres et chants « Le gamin de la gare ».

Non, mais le vrai gamin de la gare, là, avec la famille et trois autre types !

Comme tout le monde s’arrête autour de lui pour se tourner vers la fanfare en approche, MonTerrible s’empare de la pochette en cuir, contenant la formule retranscrite par MonAîné et trop nonchalamment tenue par Erwan.
Dans ses premières foulées, il ordonne à son père de partir avec les autres et court vers l’entrée du zoo.

LePaf pas formalisé pour deux sous par cette brutale inversion des rapports père-fils serre un peu plus ses mains sur celles des deux autres enfants, se précipite dans la direction opposée, et a déjà atteint la route passant devant le zoo quand Serge et Sergio démarrent.

Surgissant de derrière un stand de ballons publicitaires, Client n°1 arrive à leur niveau quand tous trois sont brutalement fauchés par une muraille de vélos lancés à pleine vitesse.

Sur l’autre bord dans le murmure de la foule, les souffles de plus en plus puissants des cuivres et les consternations mégaphonée du speaker, MonTerrible toujours en course. Six pas derrière ses trois poursuivants - Client n°2, Erwann et Loïck un peu en retrait, rouge, et soufflant fort.
Le guichetier, post adolescent menu, frisé et tirant vers le roux, a les yeux qui s’écarquillent et les bras qui l’en tombent quand MonTerrible escalade son réduit, s’y engouffre par la mince ouverture prévue pour les échange de monnaie et s’empare de son stylo de travail, celui tenu par une chaine à son socle, et qui d’ordinaire ne fait que contresigner des chèques.

En quelques savant moulinets c’est devenu une arme, tenant du nunchaku et de la masse d’arme, et dont la partie lestée vient frapper la patte velue d’Erwan juste avant que la pointe vienne diffuser son encre entre les métatarses couverts de crocodile que Client n°2 avaient aventurés dans une entrebâillure.

Leurs cris de douleurs à peine poussés, des hommes en uniformes les ceinturent vigoureusement, ne leur laissant que le temps d’imaginer leur revanche, dont on peut supposer qu’ils la fantasmeront longtemps durant les rêveries qu’occasionnent les promenades en rond dans les maisons d’arrêt.

Alors que toutes les colonnes se sont retrouvées au pied du rocher au singe, que le guichetier a repris son souffle et ses esprits, et que MonTerrible s’est extrait de la cabine de plexiglas, s’approche l’hélicoptère de ChèreEpouse.

Dans ce qui n’était qu’un amas grouillant entre route et forêt, les détails, à mesure qu’elle s’approche, se font plus nets et, dans ses jumelles elle peut voir sans erreur possible, son plus jeune fils danser de toute sa surnaturelle énergie au centre d’une cinquantaine de musiciens qui l’acclament à coups de cuivres et percussions.

Le parfait happy end.