mercredi 25 avril 2012

Episode 11 : où deux frères sont partout tandis qu'on s'habille

ChèreEpouse efface la buée étalée sur le miroir de la chambre d’hôtel.
La manche du peignoir agrippée fait l’essuie glace, encore et encore. La netteté n’a pas l’air de vouloir se faire pour l’esprit embrumé de la conférencière globetrotteuse.

Hier le Gabon, aujourd’hui le Ghana que cette mission est longue, que fut long ce bond du « bon » au « na ».

Réveil tardif, pas le temps d’appeler en France ce matin.
Du terrain toute la journée : de réserves naturelles en parcs protégés arpentés à la jeep.
Il ne sera guère possible de se revigorer aux bavardages familiaux – ceux là-même qui, vécus de trop près, usent et fatiguent d’ordinaire – avant demain ou après demain.

Il y a déjà trop de retard pour vérifier mais il semble bien à ChèreEpouse qu’elle avait averti hier de cette absence par mail.
Si si, elle croit bien reconnaitre cette information dans une circonvolution d’un cerveau où le jour ne s’est pas levé encore. D’où une préparation express, toute en automatismes, que ce corps pourtant malmené a su, à force d’impératifs, apprendre à réaliser de manière autonome sans le commandant en chef un poil moins du matin.

Prévoyance faite jolie femme, ChèreEpouse familière de ces mini grasses matinées cérébrales a su penser, la veille, la tenue la plus adaptée aux missions du jour.



Aspect pratique : journée en voiture, probablement sans climatisation avec arrêts fréquents pour une présentation rapprochée des exemples de faune et flore sur lesquels il faudra plancher et débattre et plancher à nouveau durant de longues journées d’ordinateurs, coups de fils urgents et réunions à rallonge.

Donc : tenue légère, souple, absorbante et ne gênant pas les mouvements. Pas trop sombre pour des questions de chaleur et d’ensoleillement.


Aspect social : comme compagnons de promenade, quelques ministres, des représentants de l’ambassade, deux trois pontes d’organismes internationaux ou d’importantes entreprises locales.
Donc : souci d’élégance, vêtements en bon état, chaussures cirées. Pas trop clair pour des questions de résistance aux salissures éventuelles.


Conclusion générale : spartiates de cuir sombre au-dessous d’une robe saharienne couleur kaki, 100% coton parfaitement adaptée aux courbes fines et toniques d’une ChèreEpouse en majesté toute couronnée qu’elle est d’une serviette d’hôtel montée en turban autour des ses cheveux encore gorgés d’eau.

Mais quatre coups puis quatre autres plus vigoureusement frappés sur le côté couloir de la porte.
Se désenturbanner et rejoindre à grand peine au milieu de cette buée qui ne veut pas partir et des débris de la valise éventrée la veille au soir tout en les poussant du pied vers de plus discrets endroits.
Tête tondue façon daim, plus brûlée que hâlée, taillée de rides en ravin. Une voix en ruisseau de rocailles :

« Bonjour, je suis chargé de veiller à votre sécurité durant tous vos déplacements, je m’appelle André, André Jezequiel. »

mercredi 18 avril 2012

2terlude

« Comme ces paysages qui ne se laissent contempler qu’après s’être rayé l’épiderme sur des ronces, esquinté les articulations sur de franches pentes aux cailloux instables, apprécier Yvon Jezequel demande de passer outre un premier abord un peu plus qu’abrupt.
Rebutant à la première rencontre par ses emballements, cette fougue difficilement canalisable qui effraye facilement, peu à peu se dévoile, je vous le garantis, qui nous ramène vers lui et que j’espère, vous découvrirez dans ces pages auxquelles on pourra reprocher des impasses en foison et du parti-pris en excès mais ni le manque d’engagement, ni le côté fabriqué des petits calculateurs.

[…]

Ici, je voudrais revenir sur un bien mauvais procès qui lui a été fait, d’autant plus vicieux qu’il n’est plus en mesure, lui, de se défendre.
Dans sa volonté de tisser des affinités mystérieuses mais décisives entre Amérique et Armorique – volonté qu’on peut discuter mais sans lui faire des procès en sorcellerie sur ses intentions sous jacentes – le reproche lui a plusieurs fois été fait de négliger l’apport africain dans la musique américaine pour la résumer faussement à l’affrontement entre natifs (ou indiens) et colons européens.
Injuste.
C’est vrai qu’il serait ridicule de parler musique américaine sans aborder sa dimension africaine, décisive. Mais, ceux qui lui font ce reproche ne l’ont surtout pas lu ou alors, à charge, traquant les éléments instruisant leur procès, omettant ce qui modifierait leur thèse. »

Extraits de la préface de M. LePaf, journaliste, au livre Armoricana d’Yvon Jezequiel

…………………………………………………….

« C’est vrai que c’est entre l’arrivant volontaire – le colon – et l’autochtone – l’envahi – que s’est jouée la confrontation qui m’intéresse ici car c’est elle qui me parait la plus porteuse de promesses de vie nouvelle pour nous autres extrêmes ouestains du continent. Dans cette confrontation, l’arrivant involontaire – l’Africain – tout important qu’ait pu être son rôle musical, n’aura qu’un rôle mineur dans cette pensée au travail.
Ceci ne veut évidemment pas dire que je minore leur rôle général qui est immense, il paraitrait impossible voire dément de ne pas le reconnaitre.

[…]

Ils ont fait de cette terre qu’ils n’ont pas choisie, un point d’ancrage pour reconquérir le reste du monde. Et dans cette fabuleuses Reconquista, s’entendent encore les échos de telle ou telle facette de la très vaste tradition musicale du continent saigné.

Je pense aux Jalis, ces troubadours, musiciens et chefs du protocole de l’empire Songhaï, à la fois prestigieux et bannis comme hors-castes. Conservateurs et scribes par leur corps, leurs danses et leurs chants, de la culture impériale.
Capacité d’écriture et de conservation par autre chose que l’inscription, ce qui n’aura d’ailleurs pas échappé aux contremaîtres, soucieux d’empêcher ces expressions par trop souvent séditieuses.

Mais aussi, les pulsations des peaux frappées et des clochettes que secouaient avec une fureur ingénieuse les Edos, dans ce qui deviendra l’empire du Bénin.
Les souffles héroïques des trompes d’ivoire des Ashanti, du royaume d’Akan – maintenant, peu ou prou, le Ghana.
Ou encore les pleurs criés sur fond de polyrythmie, marque de fabrique des Yorubas de l’actuel Nigéria et qui font aujourd’hui ce que la soul peut avoir de plus déchirant. »

Extraits d’Armoricana d’Yvon Jezequiel

mercredi 11 avril 2012

Episode 10 : où le mal des transports ne jouera finalement aucun rôle

MaPrincesse boude.
Bras croisés serrés, lèvre inférieure ourlée en un gros pli producteur de ces disgracieux filets venant s’étendre en taches sombres sur son-t-shirt Barbapapa préféré.
MaPrincesse est très vexée.
Œillades, blagues, démonstrations d’enthousiasme n’auront jamais déridé les quatre messieurs de la gare.

Et goujats avec ça.
Lâchant négligemment aux pieds de celui qui tient son grand-frère sur ses genoux une peluche ou son chouchou elle espérait un peu d’attention.
Pas un geste pour le ramasser.
Elle demande, poliment pourtant : un méchant regard de colère et c’est tout.

Même sa bouderie se fait dans l’indifférence ; le pli labial s’accentue encore.
On se demande quelles limites son visage pourra imposer à ces grimaces de dépit.

Elle aurait pu pleurer, crier, réclamer les soins et compliment qu’elle mérite.
Mince, dans MaPrincesse, il y a Princesse, quoi.
Mais un vague instinct en forme de boule lourde et tournante au milieu du ventre, lui suggère que l’idée n’est pas bonne.

Alors autant ne plus parler.
Du tout
Comme plus personne ne parle dans cette voiture, même pas ses frères, et bien ce sera le mortel ennui pour tout le monde et puis tant pis.

Et elle n’est même pas vexée.
Pas du tout.
Elle s’en fiche.
Mais si personne ne veut être drôle, elle ne va pas l’être pour tout le monde non plus.
Il faut être plusieurs.

Déçue par contre ?
Oui, ça c’est possible.
.
Comme dans la gare ils ont montré AuPaf une carte presque comme celle du gros monsieur chauve de l’autre jour - avec des photos différentes, oui, mais la même carte - on pouvait penser que ce serait pareil.
Le gros monsieur chauve, lui, il était gentil.
On pouvait jouer avec lui, rigoler avec lui, l’escalader et même lui donner des petits coups, pas trop fort, dans le ventre comme un coussin.

La carte ne fait donc pas le terrain de jeu et c’est une déception, oui.

Elle se rappelle maintenant que la carte voulait dire que la personne en photo dessus fait partie de la police.
Donc, les messieurs de la gare seraient, eux aussi, de la police.
C’est curieux quand même.
Parce que, la façon dont ils sont installés dans la voiture avec un des messieurs qui tient son grand frère sur les genoux, elle sur ceux de son père et le moyen-frère sur ceux d’un autre monsieur, celui qui n’a plus de cheveux que sur le cou mais long et sales, et bien, et ça elle en est sûre, c’est interdit et puni par… les policiers.

Parfois elle s’amuse de ces choses pas logiques qu’elle découvre de plus en plus.
Aujourd’hui c’est désagréable.
Un peu comme quand ça tangue après un trop gros repas.
Ça bouge beaucoup dans son ventre, décidément.

LePaf a vu sa fille se barbouiller.
Il s’en était fait la réflexion à peu près à l’instant où chaque membre de la famille s’est vu enfiler d’autorité un sac de toile de jute sur la tête.
Depuis, il ressent au creux des côtes un lancement beaucoup plus vif que la douleur occasionnée par le canon du pistolet qu’on y presse.

Sa crainte la plus vive, la plus immédiate, celle qui hante son esprit et se cogne en tournant dans tous les recoins de son crâne est qu’à la faveur d’un virage de trop l’un des enfants se mette à vomir à l’intérieur de son sac.

Ce qui devrait lui occuper l’esprit à l’en faire perdre – la profonde incertitude sur leur sécurité immédiate à tous quatre – s’est dissous dans une préoccupation devenue supérieure : quelle serait la meilleure manière de demander aux ravisseurs, sans qu’ils s’énervent trop, si l’enfant qui annonce son mal de ventre peut soulever la toile de jute au moins jusqu’au niveau du nez pour éviter que son visage baigne dans son propre vomi.

Ruse de la raison qui détourne et renverse les hiérarchies évidentes pour ne pas perdre pieds dans sa tête – comme a un jour déclaré un sportif qu’apprécie beaucoup LePaf.

Arrêt de la voiture ; on retire les sacs, propres.
Le mal des transports n’a pas sévi.

Bref soulagement, puis de nouveau le pistolet qui appuie sur les côtes.
Une ferme au toit d’ardoise dont on ne verra que la cuisine car c’est à la cave qu’on emmène la famille, au milieu d’odeurs de champignons et d’essence.

LePaf aimerait féliciter ses enfants.
Calmes durant toute la traversée, un silence parfait et sans panique.
Mais le souligner serait les inquiéter peut-être…

Une main jette du haut de l’escalier les sacs et valises de la famille.
Plus de téléphone ni d’ordinateur bien sûr, pas de portefeuille non plus mais le reste semble être là.

MonTerrible prend son sac, en sort le manuscrit d’Yvon Jezequiel et le tend à son frère qui attend que le moyen et la petite prennent place d’un côté et l’autre de lui avant d’entamer la lecture.

mercredi 4 avril 2012

Episode 9 : où la musique commercialise les mœurs

MonTerrible ouvre la poche extérieure de la valise familiale, en sort une serviette de toilette blanche rayée de bleu et acre d’avoir été rangée encore humide.
Après l’avoir soigneusement étendue à ses pieds, il farfouille maintenant dans son sac, rempli à en faire souffrir les coutures et lui faisant dans le dos comme un menhir depuis son départ de Bretagne.

Face à lui le une douzaine de vingtenaires.
Garçons pour la plupart, blousons militaires sur queue de pie, hauts-de-forme et - pour la majorité mâle - barbes de trois jours, instruments de musique en bandoulière : une fanfare entre deux concerts.

 MonTerrible expose la marchandise sur le tissu éponge.

« Alors, j’ai des chapeaux en tube, des boutons de manchette avec le drapeau noir et blanc qu’on voit presque à chaque fois qu’il y a de la foule et d’autres drapeaux.
- Le Gwenn ha Du, intervient son frère, derrière son Histoire des codes secrets à deux mains tenue près du nez -
Et puis aussi, plein de porte-clefs presque pas rouillés avec l’image de l’endroit où on achète de l’essence.
Combien vous voulez contre une trompette, une seule trompette ?
Les chapeaux en tube, ça vaut au moins quatre boutons de manchette et dix porte-clefs, c’est comme ça.
C’est pareil que les billes : une Sibérie, ça vaut plus qu’une Araignée et beaucoup plus qu’une bille de terre.
Alors je dirais que la trompette ça vaut trois chapeaux en tube ou douze boutons de manchette, ou… Enfin vous avez compris.
Alors ?
On tope ? »

L’habituelle tenaille du laxisme en excès d’un coté, et de la sévérité déplacée de l’autre, enserre comme trop souvent LePaf.
Farfouillent ses ongles, se tordent ses doigts dans le paprika et sel de son menton.
Indécision et tourments.

Et puis on tranche.
Ce seront les habits d’autorité.
Mettons le holà aux velléités marchandes du garnement.

Un goût prononcé pour l’entrepreneuriat, très bien, voilà le genre de penchant qui s’encourage.
En temps ordinaire.
Moins lorsque pèsent dans la balance le risque de six mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende pour vente à la sauvette.
D’autant que les peines sont augmentées quand ladite vente est commise en réunion, se permet fort opportunément de rappeler la mémoire Pafienne.

Transactus interruptus.
Enfin pas tout à fait : d’imprévus ennemis intervenant pour s’opposer à la sévère mais juste décision paternelle.

La fanfare comme un seul homme ivre se dresse, joviale et titubante devant LePaf.
Allez quoi.
Il est rigolo le mioche.

Retour de la tenaille.
Montrer les muscles de son inébranlabilité ?
Il faudrait assumer alors le rôle du rabat-joie et de possibles huées, peut-être même ponctuées de quelques brutalités.
Et ces jeunes gens ont l’air facilement moqueurs, assez costauds dans l’ensemble et surtout fort nombreux.

Entre les oreilles DuPaf se dessine en traits crispés un sourire plein de gêne et d’envie de gagner du temps.
Mais de temps il n’aura pas besoin.
Sur un tempo prestissimo, fanfaronnes et fanfarons défilent devant la serviette de MonTerrible, se servent et déposent en guise de paiement de menus objets sortis de leur sac, de leur banane, ou de leur chapeau pour certains.
Et de repartir en masse, chantant et soufflant dans un hall de gare de nouveau fréquenté depuis le départ des démineurs des policiers et du robot.

A l’entrée du fast-food tout près de la distance permettant l’ouverture automatique des portes, MonTerrible retient ses larmes devant sa serviette en désordre.
Comme arrive vers lui l’homme au balai serpillère, le coupeur de file, le perturbateur de commandes, l’ustensile menaçant enjoignant l’enfant commerçant et sa famille à déguerpir maintenant que plus aucune explosion n’est prévue dans l’immédiat, les larmes sortent.
A gros flots.
Entrecoupés de frémissements de nez, d’inspirations déchirantes et de sanglots si bruyants qu’un temps – oh, bien court, vous pensez – les mastications cessent en un silence étonné.

Ils ont tout pris, sans laisser de trompette.

Comme il est cruel ce panaché de déception et de colère.
Une escroquerie, ni plus ni moins : quelques becs des saxophones usagés, trois baguettes de batterie, un badge avec même pas sa photo dessus et un nez de clown qui sent dedans comme la table du bistrot où il était il ya trois jours avec son père, son grand-frère et sa sœur.

MonAiné se voulant consolant lui raconte une histoire d’indien perdant tout un immense terrain contre des bijoux même pas précieux et des couvertures qui donnent des maladies.
Ça marche un peu.
Il n’a peut-être pas de trompette mais il est comme un indien.
Et puis, il a réussi à conserver ce qu’il avait de plus précieux (le trésor pris dans l’église, le livre du vieux monsieur).

Le drame s’allège à poids menus puis d’un coup s’envole, soufflé par les derniers rebondissements de son, notre, votre histoire :
Alors que LePaf entreprend de trainer ses troupes vers le transport en commun le plus adapté au trajet retour, quatre messieurs l’arrêtent dès ses premiers pas hors de la gare.