mercredi 28 mars 2012

Episode 8 : où beaucoup se cultivent

MonAiné délaisse un instant son Grand livre des codes secrets, écrit par Michel Piquemal, Daniel Royo, et Charles Dutertre, précise-t-il d’ailleurs – à l’intention d’on ne sait trop qui – au moment de faire claquer les pages les unes sur les autres.

Puis, se glissant entre les corps attroupés, parvient à coller son nez sur la vitre pour profiter du spectacle qui se laisse deviner derrières les traces de mains grasses.
Sur ses pieds, MonTerrible, suivi d’UnPaf la tête encore toute à sa conversation avec le vieil Yvon et la main bien serrée sur celle de MaPrincesse.

Un instant silencieux devant le manège des policiers et démineurs. Un grattement de tête qui tient du massage et puis, s’adressant, on le suppose, à son frère, MonAiné débite :

« A chaque fois que quelqu’un trouve un colis suspect c’est çà dire, à chaque fois qu’il y a une valise ou un gros sac ou même un paquet tout seul et qu’on arrive pas à savoir à qui il appartient et bien on prévient la police, ou aussi les pompiers, des fois, je crois, et eux, ils envoient une équipe de démineurs pour vérifier si c’est juste un oubli ou si c’est une bombe qu’il y a à l’intérieur. La police les accompagne toujours bien sûr, d’ailleurs on les voit, là.

Des vraies bombes, il n’y en n’a pas souvent, et même très très rarement mais, quand même, les démineurs de Paris et des alentours – quand je dis alentours, c'est bien entendu les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne, 92, 93 et 94 – et bien ils sont appelés cinq à six fois par jour pour des colis suspects trouvés ou des valises oubliées ou des sacs oubliés ou même un gros paquet tout seul. Le plus souvent c’est dans le métro ou les gares comme ici, tiens, et, à chaque fois, ils font exactement la même chose. Comme si le sac, la valise ou le gros paquet pouvait vraiment exploser alors qu'il n’explose presque jamais.

D'abord, il faut évacuer les gens, c'est pour ça que nous, nous sommes tous dans le restaurant, là, alors que le hall de gare est tout vide et qu’on est beaucoup trop serrés ici.
On pourrait sortir par une autre porte mais je crois que les gens, ils sont assez curieux et ils ont peur de rater leur train sans doute aussi.
Enfin, ceux qui en prennent un. Parce qu’il y a aussi ceux qui attendent des gens qui descendent du train et c'est pour ça qu'on est aussi nombreux ici, et très serrés aussi et que presque personne ne mange alors que c'est un restaurant, mais je disais quoi déjà ?

Ah oui.

Les démineurs interviennent toujours par deux. Dans les interventions comme là, maintenant, c'est-à-dire, dans une gare, ils utilisent des petits robots.
Petits et très légers.
C'est-à-dire qu’ils font à peu près 50 kg alors qu’il y en à qui font 250 kg mais il faut plus d’espace qu’il y en a là.
Les robots sont téléguidés, c'est-à-dire qu’on peut les faire bouger de loin, et on peu voir ce qu’ils font aussi, ce qui est plus pratique pour bien les diriger, grâce aux trois caméras qu’ils ont toujours sur eux, les robots.

Trois caméras, c’est parce qu’il y en a deux qui servent juste pour diriger le robot et la troisième sur le bout d’un canon à eau.

Le canon à eau, c’est l’arme du robot contre les bombes ou les objets dont on pense que c’est des bombes alors qu’en fait c’est juste que quelqu’un il l’a oublié là et qu’il va faire une drôle de tête après quand il va voir ce qu’il en restera de son objet oublié.
Oui, parce que, le canon, il envoie vingt centilitres d’eau propulsés à mille deux cent bars, ça veut dire que l’eau elle avance de 300 mètres à chaque seconde et à cette vitesse là, l’eau c’est plus du tout un truc mou où on peut s’enfoncer mais un truc très dur et très violent qui peut, par exemple, percer des portes et des valises et des objets qui contiennent des bombes mais sans faire exploser la bombe qui est à l’intérieur, enfin, si jamais il y en avait une, et c’est super fort ça, vous ne trouvez pas ? »

Une petite dizaine de visages un peu éberlués mais très attentifs opine du chef du côté sans danger de la porte vitrée.

« Et ça, les canons à eau contre les sacs, les valise ou les gros paquet oubliés dont on se demande s’il n’y a pas une bombe à l’inférieur, c’est juste la moitié du temps d’un démineur. Enfin, du temps où il travaille bien sûr parce qu’autrement, sûrement il mange, il dort et lit des livres aussi sans doute mais quand il est au travail et qu’il n’est pas dans des gares ou dans le métro ou dans les endroits où les gens oublient des choses ou de bombes déguisées en sacs, valises, ou gros paquets, et bien il travaille sur des vieilles bombes, c'est-à-dire des bombes dont on est sûr qu’elle en soient, des bombes, et qui datent souvent des vieilles guerres mondiales, celles d’avant : la première et la deuxième.
Ils les démontent très doucement pour pas qu’elles explosent.

Sinon, un démineur, pour son travail, ça doit aussi, quand il y a des gens importants qui viennent quelque part, venir vérifier s’il n’y a rien qui risque d’exploser.
Ah, et aussi il vérifie les gros feux d’artifice pour savoir si on peut les lancer et puis je crois que c’est tout ce qu’ils font, oui, je crois que c’est tout. En tout cas, c’est tout ce que j’ai lu. »


Ce sont maintenant près de cent visages autour de MonAiné qui font le va et vient entre le spectacle et les commentaires.
Et de hocher la tête pour la plupart, et de poser des questions pour certains.
Questions face auxquelles l’enfant savant soupire parfois avant de répondre la voix lasse et les yeux au ciel.
Qu’il est doux pour LePaf de voir qu’il n’est pas le seul à subir ce regard de MonAiné qui vous fait vous sentir à votre place tout au bout de la longue chaine des imbéciles sachant bien sûr que celui de tête est celui qui l’est le moins, imbécile.

Tiens, mais que fait ce métal froid collé à la joue DuPaf ?
Et ne sont-ce pas des odeurs d’alcool à ses naseaux ?
Mais oui, c’est bien le visage DuPaf qu’on voit coincé entre le cuivre d’un tuba basse et l’hilarité semi expressive de son propriétaire aussi aviné que peu discrètement chapeauté.

mercredi 21 mars 2012

Episode 7 : où les inquiétudes s'estompent, les estomacs se remplissent et les habitudes s'exhibent

ChèreEpouse détend maintenant tout à fait son visage.

Le premier soulagement ne date pas de ce moment d’exquise mais brève coïncidence entre un instant de liberté dans un emploi du temps que de grosses responsabilités ont chargé jusqu’aux interlignes et l’arrivée en gare de Montparnasse de sa tribu perdue puis retrouvée.

Un message laissé sur son répondeur quelques heures plus tôt l’avait déjà heureusement délestée de cet immense poids d’inquiétudes que certains parmi ses collègues les plus proches commençaient tout juste à percevoir derrière la constance souriante de la professionnelle ayant toujours l’entièreté des ses capacités à disposition.

Mais dans cet entre-deux de réunion, il y avait la joie de parler à chacun, de s’assurer que, DuPaf à MaPrincesse, tous allaient bien. D’étancher une partie de sa curiosité au flux discontinu du récit à quatre voix et dont les mystères susciteront très vite, dès les premières secondes de repos que peuvent offrir à son esprit cette vie de réunions suivies d’autres réunions au sujet des réunions immédiatement passées, susciteront, donc, d’autres questions, d’autres inquiétudes.


Il est d’ailleurs temps de raccrocher.
Elle rappellera plus tard, difficile de savoir quand exactement.
Ce soir après le repas mais on ne sait jamais combien de temps celui-ci peut durer. Mais tu ne dormiras pas n’est-ce pas ? Et on pourra rester longtemps.
Dans une mission de ce standing où la corvée à merci s’adoucit au luxe d’un endroit dont on ne profite pas et du tous frais payés qui permet, pour une fois, à ChèreEpouse de relâcher le permanent regard à la dépense qui fait l’ordinaire de sa vie de cheffe de famille.
Alors ce soir, la longue conversation se fera depuis le téléphone de l’hôtel.

Comme ce coup de fil d’ailleurs, qui étant passé d’une des nombreuses salles de conférence que l’établissement propose, ne grèvera pas le budget familial et devrait offrir une qualité de transmission rare lors des déplacements de ChèreEpouse.
Mais sur ce dernier point, justement, ça pèche un peu : de l’écho, des grésillements, des décalages de temps. Voilà qui est peu en accord avec le standing du multi étoilé. Si elle avait dû payer, elle aurait vu là un sérieux motif à ristourne qu’elle utilisera peut-être néanmoins, juste pour le plaisir sportif d’un petit marchandage.

 Mais il faut vraiment raccrocher, comme le lui rappelle UnPaf qu’un dernier client sépare désormais de la caisse du fast-food où l’attend cette demoiselle qui serait sans doute jolie si l’attifaient d’autres vêtements que ceux fournis par son employeur et qu’on devine conçus pour mettre le moins en valeur possible les courbes de quiconque est à peu près harmonieusement formé.

De multiples répétitions sur le court chemin qui sépare le quai de gare du restaurant auraient dû lui permettre de débiter d’une voix sûre et à l’articulation distincte la commande pour quatre. Mais un employé armé de balai serpillère lui passant devant juste à l’instant de commander réduit en débris cette studieuse préparation. Et tandis que LePaf bafouille et s’y reprend à plusieurs fois l’homme balai entame sans honte ni remords son tour de nettoyage qui sera dûment noté sur le registre à droite en entrant quand on arrive de l’intérieur de la gare.

Tâche automatique, libre d’implication qu’il pratique tous les jours, quatre fois par jour, comptant les tables, dans un ordre strict et immuable tout en pensant à son dernier examen universitaire dont il n’est pas très satisfait. Poussant les pieds des clients sans agressivité mais sans plus d’excuses clairement formulées à l’exception d’un effort particulier pour ceux de l’avant-dernière table toujours occupée, depuis les déjà six mois qu’il a revêtu l’inélégant habit par les quatre même personnes perfectionnistes de l’habitude au point de s’y placer de la même façon, à la même heure et peu ou prou habillées de la même manière..
Leur départ des lieux étant lui aussi réglé dans sa chorégraphie et son ordre rigoureux.

Passée la demi-heure – 13h30-14h – de leur conversation en langue inconnue par le jeune universitaire pourtant locuteur de quatre langues européennes, ils quittent l’endroit dans le même immuable tour à tour.

Le robuste dégarni d’abord.
Toujours vêtu d’un cuir brun et élimé on l’imaginerait bien porter dessous le genre de débardeur taché de sang par une heure trente d’héroïques castagnes et catastrophes cinégéniques.
Une rude virilité soulignée par un port de lunettes fumées sur des montures en métal doré couvrant un bon tiers de son visage.
C’est vers la sortie extérieure qu’il se dirige, tirant de sa veste une cigarette sur fumoir qu’il allume dès les premières marches avant même d’avoir poussé la porte.

Ensuite c’est le géant au crâne lui aussi semi-nu mais pourvu sur la nuque d’un long filet d’une chevelure blonde dispersée en tentacules humides de graisse.
Adepte du cuir comme son devancier à ceci près que la couleur vire cette fois au pourpre et que la forme plus longue, dite trois quart, laisse des rebords ouverts former comme des parenthèses autour d’un quintal au bas mot.

Puis se lève un quinquagénaire à lunettes, gris de crin court et qu’on imagine plutôt maigre dans ses amples vêtements à la mode chinoise bretonnisés d’un lourd triskèle en pendentif.

Enfin ferme la marche, toujours, se levant du pied gauche, toujours, le sombre moustachu.
T-shirt à col montant entre le rouge et le jaune suivant les jours et l’éclairage sous une veste en tweed rapiécée aux coudes.
Deuxième de la bande des quatre à arborer des verres fumés, il a, lui, privilégié les montures plastiques, imitation écailles assombrissant davantage une peau soumise à une pilosité brune, dense, drue et trop vivace pour se tenir longtemps tranquille après le passage du rasoir.
Distributeur des tours de paroles à coups d’index pointé.

Aucun ne salue les autres en partant ou ne repasse par la table une fois son plateau vidé dans la poubelle et empilés avec les autres salis.

Prêt à vérifier l’immuable répétition du manège tout en entamant le dernier quart de son troisième tour de ménage de la journée, le jeune homme au balai se verra interrompu dans sa rêverie rituelle non par le manager qui le trouve souvent trop lent et pas assez appliqué, mais par un bruit de sirène sur une annonce grésillante et anxieuse diffusée dans le hall de la gare.

Puis c’est une foule qui se met en branle, d’abord mollement puis avec plus de vitesse et de cris et vient pour partie remplir jusqu’aux limites de la respiration le débitant de burgers et soda.

Une alerte à la bombe.

Pris par la masse de curieux se pressant contre les parois vitrées, LePaf et juniors, les ventres lestés d’une nourriture qui, comme il est annoncé, fut vite mangée, assistent d’assez bonnes places aux premières actions des hommes en uniformes qui arrivent.
Seule MaPrincesse tourne la tête vers un autre spectacle avant d’en vouloir faire profiter son père en l’alertant sur la présence du
« Vieux monsieur ! C’est le vieux monsieur ! »

mercredi 14 mars 2012

Episode 6 : où on passe d'un double sourire à une triple joie

LePaf baisse les yeux vers le gobelet.
Dans le disque noir qu’y forme le café de distributeur se reflètent, sujets aux déformations ondulées, son visage fatigué et celui plus souriant du policier venu le servir.

Un sourire dédoublé qui parvient à détendre un peu le corps crispé DuPaf.
On peut le voir à ce poing qui desserre très légèrement les rebords de la couverture qui lui couvre les épaules depuis maintenant une heure.
Quand ils sont rentrés dans l’église, le policier au gobelet en avait alors quatre, pliées avec soin et régularité, sur ses deux avant-bras tendus, avant, sans un mot, d’une par une les déposer sur les épaules de chacun des membres de la famille.

A y repenser, LePaf trouve qu’il y a quelque chose de réconfortant dans cette réalité qui colle aux clichés télévisuels.
Peut-être aurait-il même apprécié que quelqu’un appuie sur sa tête au moment de le faire rentrer dans la voiture. Histoire de parfaire la scène. Mais personne n’y a pensé. Peut-être que c’est un traitement réservé aux gens menottés.
Il faudra vérifier ça.

Il pourrait demander maintenant, mais outre qu’il n’oserait sans-doute pas en temps ordinaire, là, bien calé dans sa chaise en plastique, se sentant à l’abri derrière les fines parois qui forment comme un trois quart de bureau à mi hauteur autour de la table à deux chaises, il préfère écouter l’homme en uniforme remettre un peu d’ordre dans son histoire récente.

Une chance que vous ayez finalement réussi à nous joindre. C’est qu’il n’y a pas beaucoup de réseau dans le coin. Et puis quand il y en a, ça va, ça vient.
Ça revient pas souvent, notez.
Bon, pour le moment, il est impossible de vérifier qui est cet officier Delage.
C'est-à-dire que les communications entre les différents services ne sont pas toujours faciles-faciles, voyez.
Et puis, comme ils nous prennent pour des ploucs là-bas, je les vois mal nous débiter toute l’histoire surtout si ça remonte jusqu’à des gens importants comme vous l’avez dit tout à l’heure.
Mais c’est vrai qu’on nous a posé des questions sur Yvon, il n’y a pas longtemps.
Enfin je crois.
Il faudrait voir ça avec mon collègue mais là, il n’est pas là à cause du congé qu’il a pris, voyez.

C’est sûr qu’il est bizarre Yvon, genre un peu artiste, voyez.
Mais il n’est pas méchant.
Bon, il s’en met plein dans le cornet, il insulte les gens tout ça, mais c’est surtout parce qu’il n’a pas digéré que ses soirées dansantes de cow-boys, là, elles ne se fassent plus.
Des trucs avec plein de monde, il ne faut pas croire.
Déjà qu’avant on le ramassait souvent dans le fossé, mais alors depuis…

Après, son frère André, alors lui, lui, c’est un type à éviter c’est sûr.
Si c’était des copains à lui l’autre jour, chez Yvon, alors l’officier, là, et ben il a bien fait de vous envoyer en haut.
Parce que André et ses potes, ça ne rigole pas.
Il a fait partie des indépendantistes.
Mais pas ceux qui écrivent breton sur les panneaux routiers et les murs de mairie.
Non, plutôt genre ceux qui fricotent avec les Basques, les Irlandais et puis les mafieux aussi.
Avec des explosifs, des mitraillettes, des trafics en veux-tu en voilà et tout le tintouin.
Enfin, voyez quoi.
Je ne sais pas ce que le collègue qui vous suivait il a raconté aux autres mais si il a réussi à les faire partir de la maison, c’est du bon boulot je dis.
Enfin je suppose qu’on en saura plus dans les prochains jours.
Ou peut-être pas, remarquez.

Bon, de toute façon, tout ça, ce n’est plus pour vous, hein. On va vous conduire à la gare et puis vous pourrez rentrer.



Ainsi, tout semble reprendre sa place.
Ces aventures encombrantes vont enfin changer de main comme un paquet qui aurait perdu sa route et retrouverait ses vrais destinataires.
Et LePaf se dénoue davantage

Il jette une œil sur les enfants immobiles et sages devant ce qui peut parfois être la meilleure baby-sitter du monde, un immense poste de télévision.
Ces visages attentifs et béats sous les couleurs changeantes du poste à plasma, achèvent de le faire revenir à un niveau de tranquillité qu’il n’avait sans doute pas connu depuis son dernier bain moussant.
C’est vrai qu’ils sont mignons, qu’ils ont l’air aux anges.
Surtout MonTerrible, radieux tout à sa triple joie d’être au milieu d’uniformes et d’armes à feu, devant une télévision sans même l’avoir réclamé et d’avoir, ni vu ni connu, réussi à augmenter sa collection personnelles de quelques magnifiques objets trouvés dans l’église.

mercredi 7 mars 2012

1terlude

1925, l’émission Grand Ole Opry, qui est un peu à la musique country ce que la Kaaba est à l’Islam, naît à la radio avec pour sous-titre "The Barn Dance Show" (On danse dans la grange).
La musique populaire américaine, celle qui dans son nom même revendique d’être le pays qui l’a vu naître, vient  de ces bâtisses à foin où violons et pas de danse ont fait trembler les murs avant d’embarquer dans la gigue une bonne part du continent.
L’histoire ne dit pas s’il y avait un âne et un bœuf au moment des premières agapes en rythme des pionniers et fermiers, mais on pourrait presque le supposer.

[…]

Ces églises  de pierres simples, sans ostentation, qu’on trouve chez nous, enfoncées dans les dunes, presque camouflées par les éclats de granits qui jaillissent ça et là de la lande. Ces églises, donc, sont comme des granges de pierres dont elles sont la robuste simplicité et la fonction de préserver ce qui nourrit l’homme. Mais ici, c’est de nourritures spirituelles que l’on parle.
C’est sous ces poutres noircies par les ans, dans ces lieux où durant près de deux millénaires de violences et de soubresauts, se sont rassemblés les hommes, que se sont faites les communautés, unies sur terre et dans la croyance en quelque chose de plus fort.
Ces églises seront le lieu de la reconquête.

 […]

Au septième siècle, venus d’Irlande, ces robustes moines véritables athlètes de l’ascétisme,  plongés dans le Christianisme le plus pur en même temps qu’au fait des obscures forces de la nature, ont décidé de traverser la mer pour nous réapprendre ce que nous avions perdu, nous on fait redevenir ce que nous étions.
Et c’est, dit-on, dans l’une des abbayes qu’ils fondèrent sur le continent que s’inventa la notation musicale, les neumes, à l’aide desquelles des copistes rigoureux ont transformés les airs du temps en patrimoine.
C’est cette fois plus loin encore vers l’ouest qui faudra chercher la puissance régénératrice qui nous manque et dont nous avons tant besoin.

Extraits d’Armoricana d’Yvon Jezequiel